Aujourd'hui je vous propose de découvrir : La Procession de l'Ara Pacis. C'est une oeuvre antique romaine que j'ai étudié il y a deux ans maintenant et que je trouve très intéressante. L'article est un peu long (notamment à cause des nombreuses images que j'ai mise) mais j'espère qu'il va vous intéresser quand même. Bonne Lecture!  

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2.ara pacis (autel de la paix)

 
Le classicisme marque un retour à un ordre incarné et est garanti par une personnalité qui domine son temps. A l’ordre social et politique s’ajoute le souci et le respect des règles, de l’équilibre, de la clarté et de la fermeté formelle. Cet ordre repose sur une morale et une relation, autrement dit sur une tradition. Tout classicisme intègre des modèles anciens qui servent de caution à son idéologie : c’est une synthèse entre les valeurs traditionnelles et le nouveau régime. 
 
Le classicisme romain est dominé par Auguste qui a mis fin aux désordres des guerres civiles et pacifié l’Espagne et la Gaule. Lors de son règne de 27 av JC à 14 ap JC, il remodèle le paysage urbain par toute une série de grands travaux et de monuments publics qui l’autorise à dire « Je laisse en marbre une ville que j’ai reçue de briques ». Par ce classicisme, Auguste met en place sa propagande politique. 
L’Ara pacis fait parti de ces monuments. Il a été érigé par la volonté du Sénat en remerciement à Auguste sur le Champ de Mars. L’ara pacis fut donc décidé et consacré en 13 av JC, il fut inauguré le 30 janvier de l’an 9 av JC, jour anniversaire de Livie (sa femme).

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 Ara Pacis, décidé et consacré en 13 av JC, inauguré en 9 av JC, Champs de Mars, marbre, Musée de l'Ara Pacis 

Le décor de l’enceinte extérieure se compose de bas-reliefs polychromes à l’époque. Nous nous intéresserons seulement au décor de la partie supérieure. Plus exactement aux longs côtés Nord et Sud (11,65m) où se déploie une procession, c’est-à-dire, un défilé ayant lieu lors d’une cérémonie religieuse, célébrant un évènement important autour d’un cortège officiel. Ces deux frises sont à observer et à penser en continuité l’une de l’autre. On note que des parties furent altérées au cours du temps et que d’autres absentes ont donné lieu à des restaurations afin d’en proposer une restitution. 
 
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On va tenter de démontrer que ces éléments sculptés s’inscrivent bien dans le cadre du culte impérial sous le règne d’Auguste. Autrement dit que la procession de l’Ara Pacis est caractéristique du style classicisant de la propagande augustéenne des années 10 av JC.
Nous verrons d'abord la description de la procession, puis dans son analyse tout en la comparant à d’autres œuvres. 
  
 
Sur les côtés Nord et Sud se déroule une frise historique au-dessus d’un registre végétal séparés par une frise de méandre. Ils sont occupés par la représentation de deux cortèges se déplaçant de la gauche vers la droite. L’identité des personnages ne peut être établie qu’en termes d’hypothèse. 
 
Tous les personnages ne sont pas représentés en pied. On ne voit que la tête ou le buste de certains, cela permet un effet de profondeur. Ils sont tous dans des attitudes différentes (par exemple, la posture dans la sens inverse de la marche), ils sont également individualisés au niveau des coiffures (voile, pan de toge, couronne). Les hommes portent des toges et sont chaussés de bottines et les femmes portent des tuniques. Les plis des vêtements rendent les détails anatomiques grâce à la technique dite du vêtement mouillé. Certains portent des objets : par exemple, un homme au centre de la frise sud porte la hache pour le sacrifice.
Les figures des personnages sont alignées sur un fond neutre et de façon monotone mais rompu par la présence des enfants aux silhouettes de moitié plus petites que celles des adultes. Il n’y a pas d’idée de mouvements rapides à cause de la concentration des personnages mais plutôt d’une marche lente d’une foule dense et serrée qui renvoie bien à l’image d’une marche processionnelle. 

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La procession sud est la plus importante et la mieux conservée. Les pontifes ouvrent le cortège avec Auguste, les augures et les flamines qui suit la famille du princeps. On reconnait Auguste avec certitude, il porte la couronne de laurier et l’habit de grand pontife (titre obtenu en 12 av JC). Les quatre flamines maiores sont des prêtres attachés au service d’une divinité et reconnaissable à leur couvre-chef surmonté d’une grande pointe.

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Derrière Auguste, on trouve son gendre et ami Agrippa (décédé en 12 av JC), il a la tête couverte par un pan de sa toge et tient un rouleau de parchemin dans la main droite, accroché à son vêtement on trouve son fils Gaius César – héritier d’auguste que ce dernier a adopté ainsi que son frère. Gaius est tourné vers la figure féminine qui le suit : on le reconnait comme Livie, épouse d’Auguste, représentée voilée avec la couronne de laurier qui révèle son rang élevé. Une autre interprétation verrait à la place de Livie, Julia la fille d’Auguste qui apparaitrait donc ici derrière son mari et son fils ainé. 
A la suite, se tiendrait Tibère : hypothèse douteuse car il porte des souliers plébéiens alors qu’il descend d’une famille ancienne de la noblesse. Lui aussi porte un rameau et une couronne. Tibère est suivi d’un groupe familial sans doute formé par Antonia Mineure (nièce d’auguste), son mari Drusus, le seul a porté le paludamentum (vêtement militaire) sans doute car il combattait les tribus germaniques en 13 av JC, et le petit Germanicus. Suit un deuxième groupe familial composé d’Antonia majeure (autre nièce d’Auguste), son mari Lucius Ahenobarbus et leurs enfants : Domitia et Cneus Domitius Ahenobarbus ( futur père de Néron). 
 
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La frise nord est moins bien conservée. De gauche à droite se trouve le cortège des femmes avec les enfants de la famille impériale, puis le quindecemviri (collège de prêtres chargés des cérémonies des purifications), les augures (prêtres chargés de prédire l’avenir) et le septemviri (prêtres au nombre de sept qui organisent les banquets), précédés par des licteurs (escorte des magistrats). 
Parmi les personnages, on reconnait Lucius César, deuxième fils d’Agrippa, lui et son frère sont morts jeunes. Le suivrait Julia sur laquelle tous les regards de ceux qui l’entourent convergent. A moins que ce ne soit Livie.

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Derrière elle, on reconnait Octavie Mineure, sœur d’Auguste. Entre les deux femmes se tiendrait le troisième fils d’Auguste et de sa première épouse. A la suite d’Octavie, on voit la petite Julia Mineure qui par son rang comparait la première parmi les petites filles assistant à la cérémonie. Les figures derrières restent incertaines. On note que de nombreux personnages tiennent des rouleaux, des rameaux, des cruches pour les libations (urceus) et la présence d’un coffret d’encens (acerra). 
 
Cette procession était polychrome à l’époque et permettait aux citoyens romains de reconnaître les différents personnages. 
 
 
Référence à l’art grec du 5e s av JC :
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/frisedespanatheneesathenes.jpgFrise des panathénées de l'acropole d'Athènes, 442-438 av JC, conservé au Louvre, British Museum, musée d'Athènes. 
 
La procession de l’Ara Pacis rappelle la frise des Panathénées du Parthénon (442- 438 av JC). Conduit par des magistrats s’avance en cortège vers l’assemblée des dieux des cavaliers, des soldats, des jeunes filles portant des offrandes, des vieillards tenant des rameaux, etc… La fête des panathénées était une occasion d’affirmer la grandeur et l’unité de la cité. La frise de l’ara pacis montre une même idéalisation classique. Mais à la différence, la procession n’honore pas un dieu mais un homme et sa famille avec un accent mis sur l’individualité afin de pouvoir reconnaitre les personnages. C’est la mise en place du culte impérial. Cette référence à l’art grec du 5e siècke av JC est caractéristique du classicisme augustéen et permet de se placer dans la tradition. De cette manière il rappelle aussi son discours politique sur l’âge d’or. De plus, l’influence grecque est présente du fait que des sculpteurs grecs de l’atelier d’Aphrodisias auraient réalisés les frises. 
 
L’aspect dynastique : 
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/autelvicomagistri.jpgFrise de l'autel des vicomagistri, 20 ap JC, Rome, Palazzo della Cancelleria

La famille de l’empereur est présentée sous une forme presque généalogique. Elle est très hiérarchisée. L’ambition de cette représentation est de montrer à tous les romains qu’Auguste est le premier. Plus que de montrer la noblesse de la gens. L’ordre des membres de la famille renvoie à l’ordre de la succession au moment où le monument est construit. Ce relief « historique » se place dans le présent des années 10 av JC. De plus, la famille est représentée dans une scène exemplaire et austère dans laquelle elle doit incarner la politique d’Auguste avec les valeurs de morale, union… Donc, par cette disposition Auguste prône un retour à l’ordre social. 
On retrouve sur la frise de l’Autel des Vicomagistri ( 20 ap JC) un bas-relief historié : les personnages ayant une fonction importante sont eux aussi représentés portant une couronne de laurier et la hiérarchie du cortège est très organisée. On retrouve aussi des prêtres avec les mêmes caractéristiques du point de vue du style (pose digne, drapés…) et du point de vue iconographique (velato capite, objets liés au sacrifice…). 
 
L’aspect religieux : 
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/auteldedomitiusahenobarbus.jpgFrise de l'autel de Domitius Ahenobarbus, 100 av JC, Rome, conservée au musée du Louvre

Le thème de la procession n’est pas une innovation augustéenne, il existait déjà en Italie. La nouveauté réside principalement dans la message idéologique qu’il délivre. 
La frise de l’Autel de Domitius Ahenobarbus ( 100 av JC) montre également une scène de rituel. C’est l’un des plus anciens reliefs romain retrouvé et annonce le développement du relief historique dans l’art romain. Il représente une scène de recensement accompagnée d’une cérémonie religieuse. On note donc la tendance de l’époque républicaine à associer des rites à caractère religieux avec des pratiques civiles et politiques. Ce mélange se retrouve sur la procession qui représente soit le reditus (cérémonie d’accueil rendue au princeps à son retour de la gaule et de l’Espagne) soit l’inauguratio (cérémonie pour la consécration du monument). La procession est associée à une cérémonie religieuse rassemblant tous les collèges de prêtres qui montre le pouvoir d’Auguste. Le but de la prêtrise est de garantir l’ordre entre les hommes et les dieux en pratiquant des rites précis. Par ailleurs, Auguste a entrepris une grande rénovation religieuse, réorganisant les collèges, remettant en usage certains rites et fêtes, etc… Auguste en faisant sculpter la procession de l’Ara pacis, veut fixer sur la pierre son désir de fonder son pouvoir sur la pietas. De plus, l’association de sujets mythiques et de sujets historiques va dans le même sens car cela met en évidence la lignée d’Auguste ( avec le gens, César, Enée, Vénus). 
 
Les rites religieux :

http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/autelduvicusaescleti-copie-1.jpgLe bas-relief de l'autel du vicus aescleti, 4 av JC- 2 ap JC, Rome, Palais des conservateurs

Sur l’autel du vicus Aecleti (4 av -2 ap JC), on trouve une scène de sacrifice. Bien que la scène de la procession ne montre pas de sacrifice, la scène se déroule juste avant. La suite de la cérémonie sera le sacrifice d’un ou plusieurs animaux. La représentation d’objets de culte (cruche pour les libations : urceus, la boite à encens : acerra et la hache pour le sacrifice : securis, …) en est la preuve. Le programme des frises de l’Ara pacis s’inscrit donc dans une tradition iconographique connue : celle de la représentation de rites romains de sacrifices.
 
 
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 Autel de la Paix

En conclusion les reliefs de la procession se placent dans une tradition, développe l’importance de la figure d’auguste et le retour à l’ordre avec l’aspect dynastique de sa famille ainsi que la pietas grâce à l’aspect religieux…Autrement dit, ces reliefs regroupent ordre, respect, clarté et tradition. Ils sont caractéristiques du style classicisant augustéen et dévoile les messages de propagande du culte impérial.
La procession s’inscrit donc parfaitement dans l’unité de l’autel de la paix qui est considéré comme le chef d’œuvre du classicisme augustéen.