Lundi 11 août 2014 à 19:00

Aujourd'hui je vous propose de découvrir : La Procession de l'Ara Pacis. C'est une oeuvre antique romaine que j'ai étudié il y a deux ans maintenant et que je trouve très intéressante. L'article est un peu long (notamment à cause des nombreuses images que j'ai mise) mais j'espère qu'il va vous intéresser quand même. Bonne Lecture!  

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2.ara pacis (autel de la paix)

 
Le classicisme marque un retour à un ordre incarné et est garanti par une personnalité qui domine son temps. A l’ordre social et politique s’ajoute le souci et le respect des règles, de l’équilibre, de la clarté et de la fermeté formelle. Cet ordre repose sur une morale et une relation, autrement dit sur une tradition. Tout classicisme intègre des modèles anciens qui servent de caution à son idéologie : c’est une synthèse entre les valeurs traditionnelles et le nouveau régime. 
 
Le classicisme romain est dominé par Auguste qui a mis fin aux désordres des guerres civiles et pacifié l’Espagne et la Gaule. Lors de son règne de 27 av JC à 14 ap JC, il remodèle le paysage urbain par toute une série de grands travaux et de monuments publics qui l’autorise à dire « Je laisse en marbre une ville que j’ai reçue de briques ». Par ce classicisme, Auguste met en place sa propagande politique. 
L’Ara pacis fait parti de ces monuments. Il a été érigé par la volonté du Sénat en remerciement à Auguste sur le Champ de Mars. L’ara pacis fut donc décidé et consacré en 13 av JC, il fut inauguré le 30 janvier de l’an 9 av JC, jour anniversaire de Livie (sa femme).

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 Ara Pacis, décidé et consacré en 13 av JC, inauguré en 9 av JC, Champs de Mars, marbre, Musée de l'Ara Pacis 

Le décor de l’enceinte extérieure se compose de bas-reliefs polychromes à l’époque. Nous nous intéresserons seulement au décor de la partie supérieure. Plus exactement aux longs côtés Nord et Sud (11,65m) où se déploie une procession, c’est-à-dire, un défilé ayant lieu lors d’une cérémonie religieuse, célébrant un évènement important autour d’un cortège officiel. Ces deux frises sont à observer et à penser en continuité l’une de l’autre. On note que des parties furent altérées au cours du temps et que d’autres absentes ont donné lieu à des restaurations afin d’en proposer une restitution. 
 
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On va tenter de démontrer que ces éléments sculptés s’inscrivent bien dans le cadre du culte impérial sous le règne d’Auguste. Autrement dit que la procession de l’Ara Pacis est caractéristique du style classicisant de la propagande augustéenne des années 10 av JC.
Nous verrons d'abord la description de la procession, puis dans son analyse tout en la comparant à d’autres œuvres. 
  
 
Sur les côtés Nord et Sud se déroule une frise historique au-dessus d’un registre végétal séparés par une frise de méandre. Ils sont occupés par la représentation de deux cortèges se déplaçant de la gauche vers la droite. L’identité des personnages ne peut être établie qu’en termes d’hypothèse. 
 
Tous les personnages ne sont pas représentés en pied. On ne voit que la tête ou le buste de certains, cela permet un effet de profondeur. Ils sont tous dans des attitudes différentes (par exemple, la posture dans la sens inverse de la marche), ils sont également individualisés au niveau des coiffures (voile, pan de toge, couronne). Les hommes portent des toges et sont chaussés de bottines et les femmes portent des tuniques. Les plis des vêtements rendent les détails anatomiques grâce à la technique dite du vêtement mouillé. Certains portent des objets : par exemple, un homme au centre de la frise sud porte la hache pour le sacrifice.
Les figures des personnages sont alignées sur un fond neutre et de façon monotone mais rompu par la présence des enfants aux silhouettes de moitié plus petites que celles des adultes. Il n’y a pas d’idée de mouvements rapides à cause de la concentration des personnages mais plutôt d’une marche lente d’une foule dense et serrée qui renvoie bien à l’image d’une marche processionnelle. 

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La procession sud est la plus importante et la mieux conservée. Les pontifes ouvrent le cortège avec Auguste, les augures et les flamines qui suit la famille du princeps. On reconnait Auguste avec certitude, il porte la couronne de laurier et l’habit de grand pontife (titre obtenu en 12 av JC). Les quatre flamines maiores sont des prêtres attachés au service d’une divinité et reconnaissable à leur couvre-chef surmonté d’une grande pointe.

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Derrière Auguste, on trouve son gendre et ami Agrippa (décédé en 12 av JC), il a la tête couverte par un pan de sa toge et tient un rouleau de parchemin dans la main droite, accroché à son vêtement on trouve son fils Gaius César – héritier d’auguste que ce dernier a adopté ainsi que son frère. Gaius est tourné vers la figure féminine qui le suit : on le reconnait comme Livie, épouse d’Auguste, représentée voilée avec la couronne de laurier qui révèle son rang élevé. Une autre interprétation verrait à la place de Livie, Julia la fille d’Auguste qui apparaitrait donc ici derrière son mari et son fils ainé. 
A la suite, se tiendrait Tibère : hypothèse douteuse car il porte des souliers plébéiens alors qu’il descend d’une famille ancienne de la noblesse. Lui aussi porte un rameau et une couronne. Tibère est suivi d’un groupe familial sans doute formé par Antonia Mineure (nièce d’auguste), son mari Drusus, le seul a porté le paludamentum (vêtement militaire) sans doute car il combattait les tribus germaniques en 13 av JC, et le petit Germanicus. Suit un deuxième groupe familial composé d’Antonia majeure (autre nièce d’Auguste), son mari Lucius Ahenobarbus et leurs enfants : Domitia et Cneus Domitius Ahenobarbus ( futur père de Néron). 
 
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La frise nord est moins bien conservée. De gauche à droite se trouve le cortège des femmes avec les enfants de la famille impériale, puis le quindecemviri (collège de prêtres chargés des cérémonies des purifications), les augures (prêtres chargés de prédire l’avenir) et le septemviri (prêtres au nombre de sept qui organisent les banquets), précédés par des licteurs (escorte des magistrats). 
Parmi les personnages, on reconnait Lucius César, deuxième fils d’Agrippa, lui et son frère sont morts jeunes. Le suivrait Julia sur laquelle tous les regards de ceux qui l’entourent convergent. A moins que ce ne soit Livie.

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Derrière elle, on reconnait Octavie Mineure, sœur d’Auguste. Entre les deux femmes se tiendrait le troisième fils d’Auguste et de sa première épouse. A la suite d’Octavie, on voit la petite Julia Mineure qui par son rang comparait la première parmi les petites filles assistant à la cérémonie. Les figures derrières restent incertaines. On note que de nombreux personnages tiennent des rouleaux, des rameaux, des cruches pour les libations (urceus) et la présence d’un coffret d’encens (acerra). 
 
Cette procession était polychrome à l’époque et permettait aux citoyens romains de reconnaître les différents personnages. 
 
 
Référence à l’art grec du 5e s av JC :
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/frisedespanatheneesathenes.jpgFrise des panathénées de l'acropole d'Athènes, 442-438 av JC, conservé au Louvre, British Museum, musée d'Athènes. 
 
La procession de l’Ara Pacis rappelle la frise des Panathénées du Parthénon (442- 438 av JC). Conduit par des magistrats s’avance en cortège vers l’assemblée des dieux des cavaliers, des soldats, des jeunes filles portant des offrandes, des vieillards tenant des rameaux, etc… La fête des panathénées était une occasion d’affirmer la grandeur et l’unité de la cité. La frise de l’ara pacis montre une même idéalisation classique. Mais à la différence, la procession n’honore pas un dieu mais un homme et sa famille avec un accent mis sur l’individualité afin de pouvoir reconnaitre les personnages. C’est la mise en place du culte impérial. Cette référence à l’art grec du 5e siècke av JC est caractéristique du classicisme augustéen et permet de se placer dans la tradition. De cette manière il rappelle aussi son discours politique sur l’âge d’or. De plus, l’influence grecque est présente du fait que des sculpteurs grecs de l’atelier d’Aphrodisias auraient réalisés les frises. 
 
L’aspect dynastique : 
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/autelvicomagistri.jpgFrise de l'autel des vicomagistri, 20 ap JC, Rome, Palazzo della Cancelleria

La famille de l’empereur est présentée sous une forme presque généalogique. Elle est très hiérarchisée. L’ambition de cette représentation est de montrer à tous les romains qu’Auguste est le premier. Plus que de montrer la noblesse de la gens. L’ordre des membres de la famille renvoie à l’ordre de la succession au moment où le monument est construit. Ce relief « historique » se place dans le présent des années 10 av JC. De plus, la famille est représentée dans une scène exemplaire et austère dans laquelle elle doit incarner la politique d’Auguste avec les valeurs de morale, union… Donc, par cette disposition Auguste prône un retour à l’ordre social. 
On retrouve sur la frise de l’Autel des Vicomagistri ( 20 ap JC) un bas-relief historié : les personnages ayant une fonction importante sont eux aussi représentés portant une couronne de laurier et la hiérarchie du cortège est très organisée. On retrouve aussi des prêtres avec les mêmes caractéristiques du point de vue du style (pose digne, drapés…) et du point de vue iconographique (velato capite, objets liés au sacrifice…). 
 
L’aspect religieux : 
http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/auteldedomitiusahenobarbus.jpgFrise de l'autel de Domitius Ahenobarbus, 100 av JC, Rome, conservée au musée du Louvre

Le thème de la procession n’est pas une innovation augustéenne, il existait déjà en Italie. La nouveauté réside principalement dans la message idéologique qu’il délivre. 
La frise de l’Autel de Domitius Ahenobarbus ( 100 av JC) montre également une scène de rituel. C’est l’un des plus anciens reliefs romain retrouvé et annonce le développement du relief historique dans l’art romain. Il représente une scène de recensement accompagnée d’une cérémonie religieuse. On note donc la tendance de l’époque républicaine à associer des rites à caractère religieux avec des pratiques civiles et politiques. Ce mélange se retrouve sur la procession qui représente soit le reditus (cérémonie d’accueil rendue au princeps à son retour de la gaule et de l’Espagne) soit l’inauguratio (cérémonie pour la consécration du monument). La procession est associée à une cérémonie religieuse rassemblant tous les collèges de prêtres qui montre le pouvoir d’Auguste. Le but de la prêtrise est de garantir l’ordre entre les hommes et les dieux en pratiquant des rites précis. Par ailleurs, Auguste a entrepris une grande rénovation religieuse, réorganisant les collèges, remettant en usage certains rites et fêtes, etc… Auguste en faisant sculpter la procession de l’Ara pacis, veut fixer sur la pierre son désir de fonder son pouvoir sur la pietas. De plus, l’association de sujets mythiques et de sujets historiques va dans le même sens car cela met en évidence la lignée d’Auguste ( avec le gens, César, Enée, Vénus). 
 
Les rites religieux :

http://des-lys-dans-lart.cowblog.fr/images/autelduvicusaescleti-copie-1.jpgLe bas-relief de l'autel du vicus aescleti, 4 av JC- 2 ap JC, Rome, Palais des conservateurs

Sur l’autel du vicus Aecleti (4 av -2 ap JC), on trouve une scène de sacrifice. Bien que la scène de la procession ne montre pas de sacrifice, la scène se déroule juste avant. La suite de la cérémonie sera le sacrifice d’un ou plusieurs animaux. La représentation d’objets de culte (cruche pour les libations : urceus, la boite à encens : acerra et la hache pour le sacrifice : securis, …) en est la preuve. Le programme des frises de l’Ara pacis s’inscrit donc dans une tradition iconographique connue : celle de la représentation de rites romains de sacrifices.
 
 
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 Autel de la Paix

En conclusion les reliefs de la procession se placent dans une tradition, développe l’importance de la figure d’auguste et le retour à l’ordre avec l’aspect dynastique de sa famille ainsi que la pietas grâce à l’aspect religieux…Autrement dit, ces reliefs regroupent ordre, respect, clarté et tradition. Ils sont caractéristiques du style classicisant augustéen et dévoile les messages de propagande du culte impérial.
La procession s’inscrit donc parfaitement dans l’unité de l’autel de la paix qui est considéré comme le chef d’œuvre du classicisme augustéen.

Dimanche 3 août 2014 à 13:31

 Renoir Auguste, Le Bal du Moulin de la Galette, Montmartre, 1876, h/t, 1m31x1m75, Orsay

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Le tableau traite du thème de la fête populaire. C’est une scène de genre très animée avec de nombreux personnages. Au premier plan à droite, trois hommes boivent un verre et discutent avec des femmes. Derrière, un petit groupe de personnages debout coiffés de haut de forme ou de canotier. Au second plan, on observe des couples de danseurs qui s’amusent sous l’ombre des acacias et des lumières artificielles des lampions. L’un des couples nous regarde. Derrière eux, un couple est assis sur un banc : cela marque la fin de la piste de danse. L’arrière plan est plein d’une foule dense qui se tient devant des baraquements verts et un groupe de musiciens. Cette scène se passe lors d’une fête populaire à Montmartre sur la bute pendant une belle journée. L’impression de fête, de joie de vivre, de quiétude, représente l’expression d’un bonheur simple et collectif.

La bute Montmartre en 1876 est une zone populaire où se trouve des moulins à vent. C’est là qu’est mis en place un cabaret populaire : une guinguette. Dans ce lieu très populaire, on retrouve des ouvriers, des proxénètes, les artistes…la bohème. Le mélange des chapeaux (haut de forme et canotier) montre qu’il n’y a pas que la bourgeoisie mais un mélange. Renoir représente un Paris qu’il connait bien car son atelier se situe à côté. C’est un lieu qu’il fréquente. Cependant, il faut noter que la France est détruite après le guerre contre la Prusse et en 1871, elle subit la guerre civile. Renoir met de côté ces évènements sombres et opte pour une iconographie du bonheur.

L’ambition de Renoir est de peindre une scène de plein air avec de nombreuses figures humaines en mouvement (les gens dansent, rient, boivent…). Il a voulu représenter la diversité des attitudes, la multitude et le bonheur collectif.

Dans ce tableau, Renoir fait poser des amis, des peintres, des modèles : ce sont des personnes connues. Par exemple, au premier plan, l’homme qui tourne le dos est George Rivière (critique qui  a écrit notamment un texte sur ce tableau) et les deux autres sont des peintres : Franc-Lamy et Norbert Goeneutte. Les deux femmes avec qui ils parlent sont des modèles : Estelle et Jeanne. Un journaliste se trouve parmi les danseurs. Et le couple qui nous regarde sont également connus : Margaux et Solarès. Le pari de son ambition est réussi : Renoir exprime la griserie de la fête, de la joie de vivre et la chaleur des rencontres.

La composition est structurée et réfléchie. Le peintre est soucieux de la disposition des figures dans l’espace de sa toile. C’est une composition complexe avec des points de repère : d’abord il utilise  les bancs qui délimitent la piste de danse, puis il emploie une diminution rapide des personnages avec un fonctionnement en cascade pour donner un effet de profondeur. Ensuite, à l’arrière plan, la foule est suggérée par de petites touches vives avec des rehauts de rouge qui suggère une foule grouillante et animée.

Le cadrage coupe les personnages. Le cadrage est réfléchi pour créer un instantané afin de permettre à la fête de continuer hors champs (le prolongement de la réalité de la toile).

Beaucoup d’esquisses préparatoires ont sans doute été préparées en atelier. Mais le pleinairisme  souligne que la toile a été achevée en plein air. Renoir a d’ailleurs été aidé par Rivière pour transporter la toile.

Sous la Tonnelle, autre tableau de Renoir est une toile réalisée dans les mêmes conditions et la même période. Elle est considérée comme un travail préparatoire. Le peintre y représente quelques personnages sous les arbres du moulin de la galette.

Renoir utilise une palette aux couleurs vives : des bleus mélangés avec du blanc et du rose, des verts, des jaunes pailles pour les chapeaux de paille, des rehauts de rouge… Ces couleurs vives rappellent ses intentions gaies et joyeuses.

La lumière a deux origines. Elle est à la fois artificielle (avec les lampions) et naturelle (avec les rayons du soleil). Le peintre se penche ainsi sur un problème plastique : il travaille une lumière vive qui traverse les feuillages et éclaire par petites touches les personnages de façon tamisée. Il utilise des vibrations colorées : comme les taches colorées sur le dos de Rivière ou sur la robe de Margaux, ainsi que les zones d’ombre et de lumière sur tout le sol. Cette lumière vient dissoudre les formes et crée cette vibration colorée caractéristique de l’impressionnisme.  Il n’y a pas de ligne. Cette vision nouvelle marque une forte révolution.

Avec une facture libre, Renoir offre une image maîtrisée qui met en évidence la joie.

C’est son œuvre la plus ambitieuse. Elle est exposée en 1877 à la troisième exposition des impressionnistes.  Comme dit ci-dessus, Rivière, le critique, défend la toile contre les critiques qui parlent de taches de graisse. Le tableau est acheté par Caillebotte (artiste impressionniste aussi) en 1877.

Le bal du moulin de la galette est une des toiles les plus importantes de sa carrière et des impressionnistes grâce à sa thématique (joie de vivre) et par son style (traitement plastique de la lumière).

 

Quelques mots sur le travail des impressionnistes :                                                     

Les problématiques  abordées dans cette toile font surface sur d’autres œuvres de Renoir et des impressionnistes (Monet, etc…) comme La grenouillère : on trouve le thème du loisir mêlé à une recherche sur la représentation de la lumière sur une eau mouvante : c’est la division de la touche. Le peintre peint les touches de manière juxtaposée afin que l’œil face lui-même naturellement le mélange des couleurs. Grâce à cette juxtaposition, les couleurs gardent leur éclat et augmente l’effet du chromatisme.

C’est le travail sur la lumière et la couleur qu’ont cherché à résoudre les impressionnistes mais également à capter une impression d’ensemble, capter l’instant. Ce dernier point implique une certaine rapidité d’exécution avec des œuvres réalisées en quelques heures. On a ainsi l’impression, en regardant les tableaux d’un instant saisi et donc d’un côté, d’un tableau pas complètement terminé que la critique ne manquera pas de souligner, qualifiant les œuvres d’esquisses.

D’autres révolutions sont menées par les impressionnistes : avec le format (on passe à un format moyen) mais aussi avec les tableaux réalisés en plein air : le pleinairisme. 

Mardi 15 avril 2014 à 18:08

 Millet, Jean-François (1814 - 1875), Les Glaneuses, 1857, huile sur toile de 83,5x110 cm, Paris, Musée d'Orsay.

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Qui n’a jamais vu le tableau de ses trois femmes ramassant des épis dans un champ ? Ces femmes penchées sur le sol au premier plan dont on ne distingue qu’à peine le visage tanné par le soleil, la saleté et la sueur. De vieilles robes en haillons, un fichus leur retenant les cheveux et des besaces forment la tenue de ces pauvres femmes. A l’arrière plan se trouve une charrette de foin et des meules. Sur la droite on peut observer des maisons : c’est la ferme des paysans. Juste devant, se tient un homme à cheval : le contremaître surveille le travail de ses ouvriers. Ainsi les Glaneuses nous plonge dans le labeur d’une journée d’été au champ.

Cette scène de genre illustre le thème de la moisson. La moisson abondante est un message qui signifie une harmonie entre l’homme, le monde et Dieu. Ce message renvoie à un passage de la Bible : le droit de glane, c’est-à-dire, le droit pour les pauvres de ramasser dans les champs ce qu’il reste de la récolte. Ce droit permettait d’éviter la mort des paysans pauvres et d’apaiser les tensions sociales. Les femmes illustrent chacune une phase de la besogne : la recherche des restes, leur sélection et leur regroupement en gerbes. En 1857, Napoléon III voulait moderniser la France alors que dans les campagnes le droit de glane était encore nécessaire. Ainsi le tableau est une forte critique du régime politique de l’Empire : la majorité de la France reste rurale et miséreuse et doit se reporter à un droit biblique. Il porte donc une dimension politique et sociale.
Afin de faire comprendre sa critique politico-sociale, Millet a conçu son œuvre en opposant le premier et l’arrière-plan. Il oppose la paysannerie pauvre à la paysannerie riche : quelques épis/les meules, les trois femmes/ quantité d’ouvriers agricoles, le travail personnel/le travail pour le patron, la petite surface/la plaine, le travail à la main/ le travail avec la charrette dirigé par le contremaître (ce sont des éléments organisationnels et capitalistes). On note aussi la direction des groupes qui est opposée : la fracture sociale n’est pas prête de se résorber et va même s’agrandir.
Cette vision politico-sociale s’inscrit dans le réalisme. C’est une vision de terrain qui joue sur l’opposition pauvre/riche. A cette époque, les paysans pauvres quittent les campagnes pour devenir ouvrier. Ce bouleversement est générateur de pauvreté dans les villes et dans les campagnes. Avec ce tableau Millet porte une démarche sociologique.

L’étude de la composition permet de comprendre également les intentions du peintre. Le point de vue est latéral. Le tableau ouvre une perspective. Le premier plan et l’arrière plan sont séparés par un vide intermédiaire. On bascule directement du premier plan à l’arrière plan. (Il n’y a pas de deuxième ou troisième plan). C’est une innovation qui marque une rupture dans les conceptions classiques de la composition. La forme plastique est construite en fonction du message : l’opposition pauvre/riche. La composition est donc marquée par sa clarté et sa lisibilité.
Une deuxième originalité est visible lorsqu’on observe la ligne horizontale forte. Les femmes sont en-dessous de cette ligne. Elles sont du côté de la terre. Elles y sont rabattues et assimilées : signe de leur pauvreté. Elles n’ont pas d’avenir. Il n’y a pour elles aucune solution sociale ou religieuse. La hiérarchie sociale est représentée : les pauvres, les riches, Dieu.
La composition est également subtile. La forme des femmes sont un écho plastique aux demi-sphères des meules créant ainsi une correspondance premier/arrière plan. Le peintre a même traduit le léger écart entre les formes : deux femmes sont rapprochées et la troisième est un peu écartée. Ces femmes sont tellement pauvres qu’elles ont été naturalisées.
Les femmes sont rivées au sol de la main jusqu’aux pieds : elles ne peuvent plus se relever avec cette forme arrondies du dessin. La troisième femme est un quart de sphère qui va se courber, elle ne se relève pas. La ligne suggère le mouvement à venir (eurythmie). Les deux mouvements préparent le mouvement de la troisième femme. La forme insiste sur l’idée.
On ne voit pas leur visage. Ce ne sont pas des portraits mais des emblèmes. Elles sont anonymes. Ces femmes sont traitées comme des statues. On retrouve un écho à la statuaire antique. Millet utilise l’art du classicisme pour leur donner leur monumentalité. Elles sont dignes. De cette façon, Millet qui est un fils de paysan veut rendre hommage à la paysannerie. On le surnomme d’ailleurs le « peintre des paysans ».
La gamme chromatique est restreinte. On note les rehauts de couleurs des fichus qui se détachent fortement contre le doré du paysage. Ainsi le caractère bucolique de l’arrière plan dû à la lumière rasante du soleil couchant se détache d’un premier plan plus sombre. Ce contraste de lumière symbolise les divisions sociales. La facture, quant à elle, est plutôt léchée.

Après ces explications, il n’y a plus de doute Millet est bien le peintre des paysans. Il multiplia les représentations de scènes de la vie rurale et souhaita représenter toutes les facettes du monde paysan. Par exemple : Les errants (1848), Le vanneur (1848), le greffeur (1855), Les deux bêcheurs (1855), L’angélus (1857-1859), Le printemps (1868). 

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